par Yanik Comeau (Comunik Média / Zone Culture)
Présenté dans le programme comme «le dernier apéro d’une humanité à la dérive», le Golgotha Picnic de l’Argentin Rodrigo García est pour le moins une étrange partition. Née dans la controverse et fustigée par l’Église Catholique (un évêque a même dit : «Le Christ est présenté comme un fou furieux, un pyromane, un Messie du SIDA, une pute du Diable, rien de plus qu’un terroriste») lorsqu’elle a été créée en 2011 par le Centro Dramático Nacional de Madrid, la pièce rappelle, à cet égard, le roman adapté pour la scène The Testament of Mary de l’Irlandais Colm Tóibín qui a provoqué de grandes montées aux barricades autour des théâtres où elle a été montée (à la Les Fées ont soif ou SLAV plus récemment).
Cependant, l’adaptation qu’en fait Angela Konrad («pour trois femmes, mères, sœurs, tantes, anges noirs d’un Christ contemporain blessé dans un accident de voiture et qui achève sa vie dans leurs bras», prémisse très prometteuse et vendeuse sur papier) ne soulève aucune passion, aucune révolte, à peu près aucune réaction, en fait. Blindée par une distribution qui impressionne (un trio d’actrices époustouflant: Sylvie Drapeau avec Lise Roy et Dominique Quesnel qui étaient toutes deux du beaucoup plus concluant Les Robots font-ils l’amour ? la saison dernière à la même Usine C), Konrad fait ici des choix discutables, pour ne pas dire contestables. Vous me direz, c’est le propre de l’art, mais… mais encore?
Alors que les personnages parlent généralement dans une langue soutenue, ils glissent parfois dans un québécois injustifié qui, certes, fait rire le public mais semble plaqué, inutile et franchement cabotin. Ensuite, alors que l’on nous promet une «furie débridée dans [cette] œuvre coup-de-poing», on est que très peu happé, heurté, confronté si ce n’est que par l’utilisation systématique des mots «chier», «pisser», etc… sans doute sous prétexte qu’on «dit les vraies affaires».
On est plutôt confronté à une série de monologues pour le moins décousus, bien écrits, soit, mais sommes toutes que des diatribes inégales livrées par d’excellentes comédiennes qui ne sont pas «utilisées» à leur plein potentiel.
Bien que la musique de Haydn, ses Sept Dernières Paroles du Christ en croix, une œuvre musicale fascinante «pleine de silences, de pauses,… une musique non dramatique à l’extrême, écrite à une époque où l’on cherchait le drame» (dixit l’explication de Marino Formenti), soit belle, intéressante et jouée à merveille par le virtuose David Jalbert (quelle belle prise pour ce spectacle!), il reste qu’elle n’est pas du tout intégrée à la production (comme le voulait García?) et impose des longueurs d’une lourdeur qui aurait pu être évitée. Évidemment, si on réussit à convaincre un pianiste de la trempe de Jalbert de venir faire notre spectacle, on ne le reléguera sûrement pas à l’arrière-scène, à la coulisse ou à la fosse (il n’y en a pas à Usine C, mais vous comprenez ce que je veux dire…). Cependant, le «récital» de 20 quelques minutes qui ouvre la représentation et pendant lequel rien d’autre ne se passe est pour le moins antithéâtral. Comme plusieurs autres des mouvements qui viendront ponctuer (mais pas vraiment) la représentation. Au moins, Konrad n’a pas demandé à Jalbert de jouer l’œuvre entière nu au piano à queue pendant tout le spectacle comme l’a fait Formenti à la création!
On ne se trompe pas en confiant des rôles à Sylvie Drapeau, Lise Roy et Dominique Quesnel – ou si rarement ! –, j’en ai parlé plus tôt. Toutes trois sont remarquables et défendent le texte et la proposition avec conviction. Le jeune et habile Samuel Côté navigue avec agilité au milieu de ce triumvirat qui aurait pu s’avérer intimidant.
Visuellement et esthétiquement, bien que dépouillé, ce spectacle est astiqué, raffiné, d’abord et avant tout efficace. Cependant, au niveau du propos, on a l’impression de passer la représentation à courir le sens, à tenter d’attraper des parcelles de conviction, des bribes de cohérence, des fragments à recoller d’une trame narrative qui paraît aussi éclatée que l’âme de notre Jésus moderne se sent abandonnée sur la croix.
Loin de moi l’idée de remettre en question la pertinence, le talent ou même mon intérêt pour le travail d’Angela Konrad. Comme le chantaient Céline Dion et Jean-Jacques Goldman, j’irai où tu iras, mais la prochaine fois… on peut partir ailleurs dans nos «interrogations critiques du monde actuel»? *** Golgotha Picnic de Rodrigo García Traduction: Christilla Vasserot Adaptation, mise en scène et scénographie: Angela Konrad Assistance à la mise en scène et régie: William Durbau Conception lumières: Cédric Delorme-Bouchard Conception sonore: Simon Gauthier Images: Julien Blais Avec Samuel Côté, Sylvie Drapeau, Dominique Quesnel et Lise Roy. Une coproduction de La Fabrik avec le soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des arts de Montréal, le Conseil des arts du Canada, hexagram-UQAM et Usine C Du 18 au 29 septembre 2018 (1h50 sans entracte) Usine C, 1345, avenue Lalonde, Montréal Réservations : 514-521-4493 Photos : Maxime Robert-Lachaine
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