par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Fondée en 1973 par le comédien populaire qui portait son nom, Duceppe demeure encore aujourd’hui une des compagnies de théâtre avec le plus grand nombre d’abonnés fidèles. Pas de doute que nous ne sommes plus aux années de Klondike pendant lesquelles on comptait presque 15 000 abonnés (c’était encore le cas lors du dévoilement de la trentième saison, 2002-2003), mais les temps ont changé. L’offre culturelle est plus diversifiée que jamais et les amateurs de théâtre sont aussi amateurs de télé et de cinéma maison. La compétition est donc plus féroce que jamais. Qu’à cela ne tienne, des abonnés, il y en avait plus de 8000 encore l’an dernier (incluant ceux qui adhèrent aux abonnements 3 ou 4 spectacles) et des fidèles qui sont là depuis le début des années 80, il y en a encore un nombre impressionnant.
Ce qui est tout aussi impressionnant, c’est le vent de renouveau que provoque l’arrivée des nouveaux directeurs artistiques David Laurin et Jean-Simon Traversy qui rassemblaient abonnés, artistes, journalistes et invités d’honneur sur la scène du Théâtre Jean-Duceppe de la Place des arts pour dévoiler leur deuxième saison à la barre de la compagnie, la quarante-huitième de son existence.
Respectant à la fois la tradition instaurée par le fondateur avec des pièces américaines (ou canadiennes anglaises) qui faisaient de la tournée en plus de jouer dans la métropole, le duo Laurin-Traversy enverra sa belle production du classique de Steinbeck Des Souris et des hommes en tournée de décembre à février prochains (David Laurin rejoindra même la distribution) et donnera un nouveau souffle au chant du cygne de Michel Dumont comme directeur artistique, l’inoubliable Bizarre incident du chien pendant la nuit de Simon Stephens qui sera repris du 26 juin au 10 août au Théâtre Gilles-Vigneault de Saint-Jérôme, rapprochant encore et toujours le théâtre du public.
1. Héritage (A Raisin in the Sun) de Lorraine Hansberry
C’est toujours dans cette tradition d’offrir des classiques américains – parfois même pour la première fois en français comme c’est le cas pour la première pièce de la prochaine saison – que les directeurs proposent A Raisin in the Sun, la pièce de 1959 de Lorraine Hansberry adaptée pour le cinéma en 1961 avec Sidney Poitier, Ruby Dee et Louis Gossett Jr., entre autres, et reprise sur Broadway il y a quelques années avec Denzel Washington, LaTanya Richardson Jackson et Anika Noni Rose. Traduite par Mishka Lavigne et montée par Mike Payette, l’ex-directeur artistique adjoint du Black Theatre Workshop et actuel directeur artistique de Geordie Theatre dont la mise en scène de Hosanna pour le Centaur a reçu le META Award pour Best Direction en 2015, Héritage – le titre choisi pour la création montréalaise de cette nouvelle production – mettra en vedette Frédéric Pierre que l’on a notamment pu voir dans Race de David Mamet chez Duceppe en 2015 aux côtés de Myriam De Verger qui sera également de cette distribution presque entièrement noire et qui comprendra Patrick Émmanuel Abellard (qui joue aussi bien en anglais qu’en français, à la télé comme à la scène, notamment dans Fight On! avec Infinithéâtre et dans Gratitude au MainLine), Mireille Métallus (que l’on a pu voir dans Neuf [titre provisoire] plus tôt cette saison au Théâtre d’aujourd’hui), Lyndz Dantiste (Le Bizarre Incident du chien pendant la nuit), Tracy Marcelin (dans Centre d’achats au Théâtre d’aujourd’hui cette saison) et Éric Paulhus, «notre minorité visible !» blaguait Frédéric Pierre pendant le dévoilement de la saison. Que la mise en scène soit signée Mike Payette continue aussi dans la tradition des liens avec la communauté théâtrale anglophone de Montréal puisqu’il y a quelques années, Guy Sprung, directeur artistique de Infinithéâtre, montait chez Duceppe la version française de Long, Long, Short, Long rebaptisée Le Pont pour l’occasion.
2. Disparu.e.s (August : Osage County) de Tracy Letts
Poursuivant dans la traduction des néo-classiques de la dramaturgie américaine, René Richard Cyr, qui fait un retour chez Duceppe après une dizaine d’années d’absence, adaptera et montera August: Osage County du comédien (vous l’avez vu dans Homeland, entre autres) et dramaturge Tracy Letts. Cette œuvre ne nous est pas étrangère puisque le film qui en a été tiré mettait en vedette entre autres Meryl Streep et Julia Roberts. Pour chausser ces grandes chaussures, Sophie Cadieux et Chantal Baril seront entourées d’une méga distribution qui comprend onze autres acteurs: Yves Bélanger, Alice Dorval (oui, la fille d’Anne et de Marc-André qui vient de terminer l’École et qui a auditionné à la suggestion de Jean-Simon Traversy qui l’a dirigée dans une production de l’ENTC), Hugo Dubé, Antoine Durand, Renaud Lacelle-Bourdon, Robert Lalonde, Roger Léger, Christiane Pasquier, Kathia Rock, Évelyne Rompré et Marie-Hélène Thibault. Difficile de ne pas adhérer à une telle proposition avec une équipe si impressionnante. On a hâte.
3. Les Hardings d’Alexia Bürger
Fini le temps où l’on présentait une petite pièce légère, un divertissement à la Ray Cooney, Noel Coward ou Neil Simon pendant le temps des fêtes. En fait, même finie l’époque où l’on présentait une pièce qui commençait en décembre et se terminait en février. À partir de la saison prochaine, les représentations auront toutes lieu après les fêtes pour la troisième pièce de l’année. Du 15 janvier au 15 février 2020, c’est la reprise d’un des coups de cœur de la dernière saison du Centre du Théâtre d’aujourd’hui, Les Hardings, qui reprendra du service, cette fois sur la scène du Théâtre Jean-Duceppe. On se rappellera que Michel Dumont avait lui-même instauré ce genre de tradition de reprises d’excellentes pièces créées dans de plus petites salles avec 24 poses : portraits de Serge Boucher et À présent de Catherine-Anne Toupin, entre autres, et que le nouveau tandem, dès sa première saison, a ressuscité Le Terrier (une pièce d’abord montée par Jean-Simon Traversy à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier il y a quelques années). Les Hardings est ce fascinant huis-clos réunissant trois hommes portant le même nom. Thomas Harding. Le pauvre cheminot poursuivi dans l’affaire de Lac Mégantic (Bruno Marcil), un chercheur néo-zélandais (Patrice Dubois) et un assureur américain (Martin Drainville). Un trio qui se questionne sur la vie, qui échange, s’affronte, réfléchit. Un texte encensé par la critique (oui, oui, même ZoneCulture) et qui mérite d’être vu et revu. Un autre bon coup des nouveaux directeurs.
4. Les Enfants de Lucy Kirkwood
Pour monter Les Enfants de la jeune dramaturge britannique Lucy Kirkwood, pièce qui a connu un vif succès à Londres ainsi qu’à Broadway (elle a été en lice pour le Tony Award de la meilleure pièce en 2017), le duo Laurin-Traversy a fait appel à Marie-Hélène Gendreau, comédienne et metteure en scène de Québec qui montait cette saison Le Vrai Monde ? de Michel Tremblay avec beaucoup d’ingéniosité. Elle dirigera trois septuagénaires qui n’ont plus besoin de présentations: Danielle Proulx (qui joue ces jours-ci dans Il faudrait bien qu’un jour de Stéphanie Labbé dans le cadre des 5 à 7 Duceppe, une autre belle innovation des nouveaux directeurs, et qui épatait dans Centre d’achats plus tôt cette saison), Micheline Bernard (géniale dans Des promesses, des promesses reprise encore ce printemps à La Licorne) et Germain Houde qui vient de terminer la tournée de L’Homme éléphant avec le Rideau Vert. Entourés de jeunes concepteurs, ce deuxième huis-clos intimiste de la saison, sur fond de catastrophe nucléaire (on n’en était pas si loin pour les gens de Mégantic non plus, avouons-le !), devrait toucher un public de toutes les générations. Du 26 février au 28 mars.
5. Fun Home – Album de famille de Lisa Kron et Jeanine Tesori d’après le roman graphique de Alison Bechdel
La saison se terminera en beauté avec un spectacle tout nouveau, une adaptation du musical américain qui a remporté cinq Tony Awards à sa création en 2015 et a figuré parmi les finalistes du prix Pulitzer, Fun Home de Lisa Kron (texte et paroles) et Jeanine Tesori (musique) d’après le roman graphique d’Alison Bechdel sacré livre de l’année par Time Magazine en 2006. Dans une nouvelle traduction de David Laurin et une mise en scène de Jean-Simon Traversy, on retrouvera sur scène Eve Landry, Frédérique Cyr-Deschênes, Kathleen Fortin, Sarah Laurendeau et Renaud Paradis, entre autres. Une pièce qui devrait non seulement clore la saison en beauté mais poursuivra la nouvelle tradition avec le Théâtre Gilles-Vigneault de Saint-Jérôme puisqu’elle sera reprise pendant la saison estivale 2020, du 2 juillet au 1er août.
Une valeur sûre en Hors-série : Michel Rivard
Après le triomphe que se prépare à vivre le premier hors-série du duo Laurin-Traversy, une série de représentations de J’aime Hydro de Christine Beaulieu qui sera présentée à guichets fermés dans l’immense Théâtre Maisonneuve de la Place des arts (ceux qui ne l’ont pas vue seront heureux qu'une nouvelle série de représentations sera offerte à l'Usine C sous peu), Michel Rivard reprendra son tout nouveau spectacle Les Origines de mes espèces créé – lui aussi à guichets fermés – ces jours-ci à La Licorne. C’est donc entre les représentations de la deuxième et de la troisième pièce de la saison que l’ex-Beau Dommage, aussi comédien et auteur, rappelons-le, offrira six (et parions qu’il y aura des supplémentaires) représentations de ce spectacle autobiographique proposant de nouvelles chansons et des textes originaux.
Accessibilité
À travers tout cela, les idées innovatrices mises en place dès l’automne dernier se poursuivront. Qu’il s’agisse des nouvelles auditions réservées aux metteurs en scène de Duceppe pour la prochaine saison, eux qui pourraient chercher des nouveaux visages, de la diversité, ou des très populaires Ton âge = Ton prix (pour les 18 à 25 ans qui paient l’équivalent de leur âge pour leur billet) et Amène ton ado (qui permet aux abonnés d’amener leur adolescent ou leur petit-fils/fille à découvrir la pièce de leur choix pendant l’année), il n’y a pas de doute que le public se renouvelle et que la majorité des spectateurs fidèles ne se sentent pas complètement dépaysés.
La prochaine saison signée Traversy-Laurin devrait donc monter une marche de plus vers le renouveau et le succès. Ils ont su relever le défi bien au-delà des nouveaux slogans et concepts publicitaires éclatants. Ils sont solidement en place maintenant et on a très hâte de juste savourer chacune des productions qui s’en vient.
Duceppe – Question de voir le monde autrement – Saison 2019-2020 Direction artistique: David Laurin et Jean-Simon Traversy Abonnements par téléphone : 514 288-5034 Abonnements en ligne : duceppe.com/abonnement Billets individuels en ligne : duceppe.com/billets Billetterie de la Place des arts : 514 842-2112 #1 Informations : duceppe.com
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