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«Dans la solitude des champs de coton» de Bernard-Marie Koltès: Duel dans la ruelle

Dernière mise à jour : 1 mars 2022

par Yanik Comeau (ZoneCulture/Comunik Média)


Avec Dans la solitude des champs de coton, c’est la troisième fois – mais seulement le deuxième texte puisqu’elle a monté deux fois La nuit juste avant les forêts – que Brigitte Haentjens et ses Sibyllines abordent l’œuvre du dramaturge français Bernard-Marie Koltès, décédé à l’âge de 41 ans en 1989. Ce n’est pas la première fois non plus qu’elle travaille avec les comédiens Sébastien Ricard, un de ses acteurs fétiches, et Hugues Frenette qu’elle a déjà dirigé dans Antigone de Sophocle.



Cette nouvelle production de Sibyllines, en coprésentation avec l’Usine C et en coproduction avec le Théâtre français du Centre National des Arts d’Ottawa (dont Haentjens est également la directrice artistique) propose un vertigineux duel verbal de 70 minutes bien tassées qui ne laissera personne indifférent. Dans une mise en scène qui rappelle à la fois une ruelle et une arène, appuyée par le fait qu’une sorte de cage de toile doit se lever pour permettre aux spectateurs d’accéder à l’ère de jeu avant qu’ils puissent gagner leurs sièges, Haentjens lâche ses deux bêtes de scène lousses l’une contre l’autre avec un texte à la fois dense et limpide, fin et puissant, mystérieux et étonnamment accessible.


Faisant appel à Mélanie Demers (son Would présenté à La Chapelle en décembre m’a complètement séduit) et à Anne-Marie Jourdenais (qui œuvre dans le milieu de la danse depuis plus de vingt ans et qui fait partie du groupe MAYDAY de Mélanie Demers) pour chorégraphier les confrontations qui rappellent la lutte gréco-romaine et qui sont gonflées de testostérone pure, Haentjens dépouille, dirige, fait confiance à ses interprètes tout autant qu’au texte. L’erreur aurait été le contraire.



Sur scène, Hugues Frenette est magistral. Il démontre une fois de plus l’étendue de son talent, de son registre. Après l’avoir vu en Léopold dans À toi, pour toujours, ta Marie-Lou de Michel Tremblay à La Bordée à Québec le printemps dernier et dans le rôle du drôle de concierge sympathique et maladroit dans Filles en liberté de Catherine Léger à La Licorne cet automne, j’ai été épaté par sa capacité à se fondre dans son personnage une fois de plus. Pour sa part, Sébastien Ricard, l’inoubliable leading man des Colocs dans Dédé, à travers les brumes et le poignant David dans En thérapie sans oublier les rôles marquants qu’il multiplie au théâtre – notamment sous la férule d’Haentjens dans L’Opéra de Quat’Sous (aussi à l’Usine C) et Richard III au TNM pour lequel il a reçu le prix Gascon-Roux ET le prix de l’AQCT – est époustouflant. Bien qu’il s’écarte parfois sur le plan de la diction avec son débit étourdissant, ses minuscules dérapages sont amplement rachetés par son intensité, son abandon et sa générosité.



Avec Dans la solitude des champs de coton, Brigitte Haentjens et son équipe donnent envie que Sibyllines nous fassent découvrir ou redécouvrir tous les textes de la comète Koltès qui s’est éteinte trop jeune. À quand de nouvelles productions montréalaises de Combat de nègres et de chiens, de Quai Ouest, de Roberto Zucco (repris au Conservatoire de Montréal en 2014, mais…)? Et où sont les autres pièces de Koltès? Sont-elles aussi intemporelles que Dans la solitude des champs de coton et La nuit juste avant les forêts?

Entre temps, il faut que cette production soit vue par le plus grand nombre. Courez-y. Laissez-vous happer.


Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès Mise en scène : Brigitte Haentjens Avec Hugues Frenette et Sébastien Ricard Une production de Sibyllines en coproduction avec le Théâtre français du Centre National des Arts (Ottawa) Du 23 janvier au 10 février 2018 (1h10 sans entracte) Usine C, 1345, avenue Lalonde, Montréal (métro Beaudry) Réservations : 514-521-4493 www.usine-c.com Photos : Jean-François Hétu

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