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«Corps célestes» de Dany Boudreault: Pornographie dystopique

Par Yanik Comeau (ZoneCulture/Comunik Média)


J’aime l’écriture de Dany Boudreault, sa façon de créer des univers singuliers, même quand il s’inspire d’univers, de personnages ou d’écritures qui existent déjà, comme c’était le cas pour La Femme la plus dangereuse du Québec co-écrite avec Maxime Carbonneau et Sophie Cadieux. J’avais été complètement ensorcelé par (e) un genre d’épopée. J’ai été tout aussi séduit par Corps célestes présentée au Centre du Théâtre d’aujourd’hui jusqu’au 15 février.


Ces corps célestes, ce sont ceux de Lili (excellente Julie Le Breton dans un rôle diamétralement opposé à celui qu’elle jouait dans La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé de Michel Marc Bouchard au TNM la saison dernière mais aussi très similaire – étrangement, curieusement, de façon troublante –, peut-être parce que l’écriture sublime de Dany Boudreault a quelque chose qui s’apparente à celle de Bouchard… ?), réalisatrice de films pornographiques, de sa sœur (impeccable Evelyne Rompré dans un rôle complexe et avec un niveau de langage décalé qui colore le personnage de manière toute particulière), son beau-frère/ex-amant (l’anglophone Brett Donohue, dans un rôle bilingue vertigineux qu’il joue avec une finesse remarquable), sa mère (muette Louise Laprade pendant presque toute la pièce et qui prend son envol vers la fin avec tout l’aplomb et la fraîcheur qu’on lui connaît) et son neveu (magnifique et attachant Gabriel Favreau, d’une agilité physique et verbale impressionnante) qui voit en Lili une mentor dans son éducation sexuelle.



Cette famille à la dynamique pour le moins inquiétante est aussi fascinante que peut l’être un carambolage. On veut détourner le regard mais on ne peut s’empêcher de les suivre. Comme les familles des télé-réalités les plus trash mais avec une profondeur, une lucidité dramatique que les fausses fictions télé ne pourraient jamais avoir. La famille que dépeint Dany Boudreault ressemblerait davantage à celles des grandes tragédies grecques avec leurs relations… «complexes» serait un euphémisme.



Les rapprochements avec l’écriture de Michel Marc Bouchard cités plus haut, sans enlever quoi que ce soit à la singularité de l’écriture ou de l’univers de Dany Boudreault, sont quand même criants. L’enfant qui regagne le sein familial (Les Muses orphelines, Le Chemin des Passes-Dangereuses, La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé…), l’exploration des désirs, la découverte de la sexualité, l’identité sexuelle, les effluves d’inceste (La Poupée de Pélopia/Des yeux de verre, Les Feluettes, Christine, la reine-garçon, encore Les Muses…)… Non seulement l’écriture de Boudreault est-elle poétique et la langue belle mais ses personnages, tout en s’inscrivant dans une société dystopique, questionnent néanmoins des enjeux bien réels, avec une distanciation habile.



La mise en scène d’Édith Patenaude, plantée dans une scénographie de Patrice Charbonneau-Brunelle toute en rideaux qui enveloppent, camouflent, dévoilent ou délimitent, est aussi précise et tranchante qu’un bistouri dans la main la plus agile. Tant le ballet des rideaux que celui des comédiens – soutenus par Mélanie Demers comme conseillère au mouvement – sont réglés au quart de tour. Les éclairages de Julie Basse et la musique ensorcelante d’Alexander McSween deviennent presque des personnages en soit.



Corps célestes Texte: Dany Boudreault Mise en scène: Édith Patenaude Interprétation: Brett Donahue, Louise Laprade, Julie Le Breton, Gabriel Favreau et Evelyne Rompré Assistance à la mise en scène et régie: Alexandra Sutto Scénographie: Patrice Charbonneau-Brunelle Éclairages: Julie Basse Costumes : Elen Ewing Musique originale: Alexander MacSween Conseil au mouvement : Mélanie Demers Une création du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et de La Messe Basse Du 21 janvier au 15 février 2020 (2 heures sans entracte) Salle principale – Théâtre d’aujourd’hui, 3900, rue Saint-Denis, Montréal Billetterie: 514-282-3900 poste 1 Photos : Valérie Remise

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