par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Léa Pool est ma réalisatrice préférée depuis la première fois que j’ai vu À Corps perdu, devenu mon film culte, mon film préféré de tous les tempsm, le seul film de toute ma vie que j'ai vu plus de quinze fois et que je reverrais encore. C’était son troisième long-métrage (après La Femme de l’hôtel et Anne Trister et son «moyen-métrage» Strass Café). Lors de la rétrospective que lui a consacrée la Cinémathèque Québécoise il y a deux ans, j’ai pu voir ou revoir ses treize films (les fictions, parce qu’elle a aussi fait des documentaires), de Strass Café à Et au pire, on se mariera en passant par La Demoiselle sauvage, Emporte-moi, Le Papillon bleu, Lost and Delirious, La Dernière Fugue et Maman est chez le coiffeur pour ne nommer que ceux-là. Je suis retombé en amour avec l’œuvre de Léa, belle, poétique, généreuse, imparfaite.
Dire que j’attendais avec impatience Hôtel Silence, son premier long-métrage depuis 2017, serait un euphémisme. Comme j’avais été déçu par Et au pire, on se mariera (vraiment pas un de ses grands films, mais quand même un Léa Pool alors certainement pas mauvais), mes attentes étaient raisonnables. Sincèrement, je ne m’attendais pas à être soufflé, à me retrouver devant – à mon avis – son plus grand film DEPUIS À corps perdu. J’ai tout adoré.
Inspiré du roman Ör de l’Islandaise Audur Ava Olafdsóttir, coup de cœur de Léa qui a avoué avoir été fidèle au roman mais avoir « utilisé » principalement sa deuxième partie, ce film rejoint plusieurs des thèmes de prédilection, les thèmes évocateurs chers à Léa Pool et qui parsèment sa filmographie : la guerre, l’amour, le désespoir et l'espoir (dans cet ordre), les hôtels, le déracinement, la quête de soi, l’enfance, la famille. Hôtel Silence est magnifiquement scénarisé, magnifiquement photographié, magnifiquement joué (pas toujours le cas, à mon avis, dans les films de Léa), touchant, déchirant, drôle par moments, vrai, d’une humanité qui fait du bien malgré la dureté qu’implique la reconstruction au cœur des vestiges et des remugles de la guerre.
Comme dans À Corps perdu avec la musique transcendante d’Osvaldo Montès, Hôtel Silence est magnifiquement mis en musique par Mario Batkovic. Comme dans À corps perdu avec Mathias Habish, Michel Voïta, Johanne-Marie Tremblay, France Castel, Kim Yaroshevskaya, Pierre Corbeil, Gisèle Trépanier, Victor Désy, Jacqueline Bertrand, Hôtel Silence est peuplé d’acteurs phénoménaux qui touchent le cœur, percent l’écran avec une brillante économie de dialogues (puissant Sébastien Ricard, brillante et lumineuse Lorena Handschin (actrice de théâtre berlinoise dont c’est le premier long-métrage), charmant Jules Porier, adorable Sacha Semis Barthes, excellente Cassandra Latreille, puissante et généreuse Irène Jacob, touchante Louise Turcot, amusants et sympathiques Paul Ahmarani et Igor Ovadis, troublant Sasha Samar). Comme dans À corps perdu où Montréal est brillamment photographiée par Pierre Mignot, Hôtel Silence offre des images étonnantes qui montrent la beauté dans l’horreur, la somptuosité dans la laideur, le génie de Léa Pool dans l’œil de Denis Jutzeler cette fois.
À mon humble avis, Hôtel Silence se hisse au deuxième rang des meilleurs films de Léa Pool après… vous l’aurez deviné. Le silence, parfois, parle plus que bien des dialogues.
Chaudement recommandé.
Hôtel Silence Réalisation et scénario de Léa Pool d’après le roman Ör d’Audur Ava Olafdsóttir Interprétation: Sébastien Ricard, Lorena Handschin, Jules Porier, Sacha Semis Barthes, Cassandra Latreille, Irène Jacob, Louise Turcot, Paul Ahmarani, Sasha Samar, Igor Ovadis Directeur-photo: Denis Jutzeler Musique: Mario Batkovic Montage: Michel Arcand Production: Elisa Garbar, Lyse Lafontaine, François Tremblay Studios : Louise Production, Lyla Films Distribution: Les Films Opale En salle depuis le 29 mars 2024 (durée: 1h40)
Et par surcroît nous avons droit à Louise Turcot au sommet de son art et de sa subtilité.