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Camillien Houde ressuscité à l’Espace Libre

Par Yanik Comeau (ZoneCulture)


Dans le cadre du 375e anniversaire de Montréal, Espace Libre, le Nouveau Théâtre Expérimental et Voies culturelles des faubourgs ont uni leurs forces pour créer un événement théâtral colossal autour du texte d’Alexis Martin, Camillien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie, une pièce biographique « fictionalisée » qui retrace bien librement la vie de celui qui a été député, mais surtout maire de Montréal de 1928 à 1954 on and off.



Le happening théâtral pensé autour du spectacle est le genre de chose qui aurait fait sourire de bonheur deux des trois cofondateurs du Théâtre Expérimental de Montréal, l’ancêtre du NTE, les regrettés Robert Gravel et Jean-Pierre Ronfard, et qui plairait – du moins, je l’espère ! – à la troisième, la comédienne et multi artiste Pol Pelletier. Pas de doute dans ma tête, ni dans mon cœur, que Gravel et Ronfard regardent leurs «enfants» Daniel Brière, Geoffrey Gaquère et Alexis Martin avec fierté et admiration.



Convoqués à 18 heures devant l’ancienne école Gédéon-Ouimet (maintenant un centre d’éducation aux adultes de la CSDM) au coin de Poupart et Ontario, en face de l’usine de MacDonald Tobacco qui était au cœur de l’activité industrielle du quartier Sainte-Marie tout au long de la vie de Camillien Houde, les spectateurs ont droit à une présentation et une mise en contexte historique offerte par une excellente animatrice de l’Écomusée du Fier Monde au fil d’un déambulatoire bien organisé par les petites rues Dufresne et Coupal jusqu’à Espace Libre où la pièce est présentée. Après la représentation, des amuseurs de rue font irruption dans le théâtre par une des grandes portes de l’ancienne caserne de pompiers qu’est Espace Libre pour accompagner les spectateurs jusqu’au parc des Faubourgs où un grand banquet offert par Au Petit Extra et ses partenaires les attendent, question de rappeler un des banquets que Camillien Houde avait organisé pour ses concitoyens au stade De Lorimier (maintenant le site de l’école secondaire Pierre-Dupuy). Tout est bien pensé, bien organisé, réglé au quart de tour. Un tour de force.


Pour en arriver finalement à la pièce elle-même. J’aime l’écriture d’Alexis Martin. J’ai aimé Matroni et moi, Bureaux, Pièce 08 : Animaux, Invention du chauffage central en Nouvelle-France : L’histoire révélée du Canada-français 1608-1998 Tome I et Camillien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie ne fait pas exception. Alexis Martin est un brillant intellectuel, un auteur rigoureux (et je ne parle pas ici de rigueur historique parce qu’il s’en garde bien lui-même dans le programme en disant que l’auteur dramatique, contrairement à l’historien, «se réclame une licence poétique « énormifique » pour amalgamer, courber, finasser, brosser faits et gestes à grands traits afin de peindre un tableau, son tableau ! ») qui sait toujours transporter son public dans le respect le plus total, sans noyer son histoire, sa poésie dans une lourdeur historique ou cérébrale (ou les deux) qui rendra sa pièce péniblement hermétique. Comme ses textes précédents, Camillien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie est une pièce drôle, touchante, vivante, intelligente et accessible.



Comme les cailloux du Petit Poucet, les faits historiques que parsème Alexis Martin tout au long du trajet nous donnent des points de repère et mettent en contexte les faits et gestes du personnage principal, joué avec passion et intensité par un Pierre Lebeau en pleine possession de ses moyens. La pièce ne se veut clairement pas une bénédiction ou une condamnation de la vie et de l’œuvre de celui que l’on a surnommé Monsieur Montréal. Elle nous dépeint plutôt l’homme et le politicien comme ils étaient (parce qu’ils étaient bien deux), mais aussi des pans importants de l’histoire de la métropole.


Lorsque, dans le premier tableau, Camillien Houde adolescent (toujours Pierre Lebeau) répète des pages de Cyrano de Bergerac pour son maître à penser, le Frère Marie-Victorin (interprété par Didier Lucien, ce qui, mardi dernier, a déclenché des rires un peu trop soutenus à mon goût au début, mais qui – Dieu merci ! – a fini par être accepté du public… après tout, pourquoi pas, en 2017 si Alexander Hamilton peut être joué par un Latino et Aaron Burr et Thomas Jefferson peuvent être interprétés par des Afro-Américains… ?), on se demande où Alexis Martin nous emmène avec ça, mais tout au long de la pièce, par après, on comprend à quel point la passion du maire pour le théâtre et pour les grands personnages – Cyrano en tête et en nez ! – l’ont influencé tout au long de sa vie. Quand Cyrano, joué ensuite par Johanne Haberlin, revient régulièrement comme une espèce de conscience, de fantôme, de point de repère pour Houde (et pour le public), on goûte encore une fois à l’intelligence de l’auteur.



Parlant de Johanne Haberlin, cette excellente comédienne, que j’ai eu la chance d’apprécier dans plusieurs spectacles au fil des années (je pense tout particulièrement à des productions au Théâtre d’aujourd’hui et à la Salle Jean-Claude-Germain, notamment Soupers de Simon Boudreault, Enquête sur le pire de Fanny Britt et Bacchanale d’Olivier Kemeid), multiplie les personnages dans Camillien Houde et épate à tout coup, interprétant même une étrange cartomancienne qui aurait pu facilement déraper vers la caricature. C’est le cas aussi de Jacques L’Heureux (notre Passe-Montagne national, mais so much more, comme diraient les Chinois) qui est absolument formidable dans ses nombreux personnages (notamment monsieur Desgagnés, un citoyen du quartier qui est à la fois drôle et attachant). Pour sa part, Éveline Rompré est sublime, elle aussi, multipliant les personnages, de la première Mme Houde, Mignonne Bourgie, à ce conseiller coloré de Houde qu’elle interprète avec brio.



Je m’en voudrais de passer sous silence l’excellente interprétation de Josée Deschênes dans le rôle de Georgette (qu’Alexis Martin semble rebaptisée Georgiana) Falardeau, celle qui deviendra la deuxième Mme Camillien Houde. Celle que plusieurs n’oublieront jamais comme Lison/Creton dans La P’tite Vie, mais qui, pour moi, sera toujours Judith dans Le Polygraphe de Robert Lepage incarne ici une femme fascinante, pleine de verve et de cran, une force de la nature qui non seulement soutiendra son homme jusqu’à la fin, mais le poussera à toujours se surpasser. Et quand elle se transforme en Josée di Stasio avant son temps et invente le pouding chômeur sous nos yeux, c’est un moment de pur délice qui semble joyeusement improvisé (par moments) avec la complicité de Pierre Lebeau.


Enfin, en ce qui concerne les quelque 22 citoyens du quartier Sainte-Marie qui, après avoir suivi des ateliers de théâtre à Espace Libre pendant plus d’un an, se joignent à la distribution pour interpréter plusieurs plus petits rôles (Monsieur Bourgie, des citoyens, des agents de police, un prêtre, une pauvre mère monoparentale et combien d’autres) en plus de représenter les assemblées et les foules qui se massaient autour du politicien, de l’homme du peuple, les metteurs en scène Daniel Brière et Geoffrey Gaquère ont su les intégrer et les utiliser de brillante façon.


Brillante aussi l’idée de retenir les services du compositeur, concepteur sonore et musicien Anthony Rozankovic (absolument excellent) qui accompagne en direct cet opéra parlé comme l’aurait fait un pianiste accompagnateur à l’époque des projections de films muets. Le fait que son piano droit serve aussi de comptoir de bar et que le musicien se transforme en barman à l’occasion est plutôt agréable aussi.


Bien que le spectacle soit déjà joué ni plus ni moins à guichet fermé et que je me compte bien chanceux que ZoneCulture m’ait déniché un billet à la dernière minute, il est toujours possible d’aller faire le pied de grue à la Place Joseph-Venne dans l’espoir d’être un des fortunés sur la liste d’attente qui obtiendra une place de dernière minute.

Il faut espérer que Camillien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie connaîtra une deuxième vie et que cette résurrection de Monsieur Montréal n’en restera pas là. Il serait si merveilleux que ce spectacle soit repris à la Nouvelle Compagnie Théâtrale où des groupes scolaires pourraient le voir. Après tout, Hochelaga-Maisonneuve, ce n’est pas si loin du quartier Sainte-Marie, non ?



Camillien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie Une pièce d’Alexis Martin Mise en scène : Daniel Brière et Geoffrey Gaquère Avec Pierre Lebeau, Josée Deschênes, Johanne Haberlin, Jacques L’Heureux, Didier Lucien et Éveline Rompré avec la collaboration de 22 citoyens du quartier Centre-Sud: Melissa Pickering-Bourdeau, Eugénie Capel, Lucie Charbonneau, Alice Cheval, Anne-Sophie Da Silva, Jean-Waddeley Denord, Sylvain Duchesne, Jean-Charles Ehui, Catherine Gignac, Luc Gosselin, Murielle Grenier, Nathalie Julien, Michael Lortie, Darlene Lenden, Alexandra Shaw-Marisseau, Kellyanne Montreuil, Jean Poulin, Suzie Quirion, Maria Tarakci, Tram-Mi Ton-Nu, Kathleen Turnbull et Florence Vauzelle Musique originale, conception sonore et musicien sur scène : Anthony Rozankovic Espace Libre, 1945, rue Fullum, Montréal

Une production du Nouveau Théâtre Expérimental en collaboration avec Voies culturelles des Faubourgs

Présentée dans le cadre de la Programmation Officielle de Montréal 375

Du 22 août au 2 septembre 2017 En rappel: 27 novembre au 15 décembre 2018

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