par Yanik Comeau (ZoneCulture / Comunik Média)
Après Animaux, le premier volet d’une trilogie sur la notion de présence au théâtre, présenté en 2016, le Nouveau Théâtre Expérimental intègre à une production des bébés, ces petits êtres vivants, ces êtres humains miniatures dépendants mais indépendants, ces adorables petites créatures impossibles à diriger. Un autre clin d’œil au vieux dicton qui rappelle aux comédiens qu’il n’y a rien de pire que de jouer avec des animaux et des enfants.
Rien de pire ? Comme le démontre la nouvelle pièce d’Alexis Martin et d’Emmanuelle Jimenez (dont la pièce Centre d’achats a ravi au Théâtre d’aujourd’hui plus tôt cette saison et dont la participation au Strindberg collectif de l’Opsis est toujours présentée à Espace Go ces jours-ci), le théâtre – et la représentation théâtrale surtout – comme tout art de la scène, est en perpétuelle mouvance et chaque représentation est unique, différente, partiellement improvisée. Avec des bébés ou des animaux lâchés lousse, on peut s’attendre à tout.
Ainsi, les auteurs – avec le metteur en scène Daniel Brière et les interprètes – ont créé des tableaux, des scènes mettant en vedette des parents de nouveaux nés, de bambins de six mois à moins de deux ans (mon évaluation qui vaut ce qu’elle vaut) et les vrais de vrais bébés en question. Mêlant l’humour à des situations plus graves, la poésie et la «science» de la petite enfance au train-train quotidien, les tableaux, entrecoupés ou parfois intégrés de monologues, réflexions, témoignages narrés par Anne Dorval (complice de Daniel Brière dans la populaire série radio-canadienne Les Parent, rappelons-le), Bébés atteint son but: mettre les acteurs adultes en danger, en situation de perpétuelle improvisation potentielle, les forçant à intégrer – à ne jamais ignorer – ces petits êtres qui peuvent à tout moment avoir besoin d’attention... et voler celle du public !
Après un premier tableau dans lequel deux jeunes femmes se font passer pour des acheteuses potentielles d’une maison mais qui, en réalité, sont des illuminées qui croient que le bébé qui habite le domicile est le nouveau Messie (on reconnaît tellement l’humour d’Alexis Martin ici !), on a droit à un souper entre amis/collègues de travail, jeunes parents, dont une maman (jouée par Ève Landry) en fin de congé de maternité et clairement en détresse, qui veulent bien faire mais qui, comme tout parent, tentent juste de tirer leur épingle du jeu et garder la tête hors de l’eau ! Bien que le texte ne révolutionne rien, il propose des situations et des points de vue dans lesquels tous les parents se reconnaîtront. Il s’avère aussi un terreau fertile pour intégrer de façon très organique ces bambins aux humeurs changeantes. Par moments, ils sont «accessoires», par moments, ils sont au centre de l’action, le focus de l’attention.
On s’amuse devant le tableau proposant un jeu-questionnaire pseudo-scientifique qui pose des questions aux choix de réponses parfois complètement loufoques mais qui transmettent néanmoins de façon ludique de l’information sur la conception, la naissance, les premiers mois de l’enfance.
On est bouleversé par la scène touchante et arrache-cœur de la comédienne Tienhan Kini, originaire du Burkina Faso, qui raconte l’histoire d’une jeune femme qui a toujours voulu un enfant mais devient mère d’un bébé résultat de viol. On est un peu moins impressionné par la néanmoins incontournable scène de ménage entre Philippe Ducros et Klervi Thienpont se querellant à propos du rôle de chacun des parents dans la vie de son enfant et du bouleversement que provoque l’arrivée d’un petit être dans la vie de couple. Des lieux communs que l’on aurait voulu voir explorés de façon plus originale, plus rafraîchissante. Mais aurait-ce été possible ?
On jubile devant la beauté du tableau dans lequel les bébés semblent voler dans l’espace (ce ne sont que les parents qui les tiennent à bout de bras et se les passent avec soin comme de fragiles ballons flottants, mais c’est très efficace et ça rappelle la scène désormais célèbre de flottement dans l’espace créée par Robert Lepage pour La Face cachée de la Lune).
Dans le rôle de passeur, animateur, maître de cérémonies et nounou, Jacques L’Heureux est un sympathique grand-papa plutôt effacé que l’on voit surtout dans un espace lounge aménagé pour le confort des tout-petits, en arrière-scène, grâce à des caméras dont on projette en direct les images sur le mur de fond. On intègre habilement – même si ça n’a plus rien d’original, et ce n’est pas un reproche – des caméras GoPro pour nous offrir des gros plans des moments intimes entre parents et enfants. C’est même plutôt méditatif par moments. Agréable.
Les quatre comédiens, papa Philippe Ducros et mamans Ève Landry, Klervi Thierpont, Nadine Louis et Tienhan Kini sont clairement à l’aise dans ce contexte tout désigné pour créer des malaises. Lors de la représentation à laquelle j’ai assisté avec une maman/grand-maman comblée (ma mère !), un des bébés n’était visiblement pas heureux d’être là (le plus jeune des quatre) mais n’est-ce pas là toute l’idée de cette exploration ? Une exploration, une expérience à vivre avec les interprètes. À l’heure du lunch parce qu’on ne fait pas du théâtre avec des bébés en chair et en os après le repas du soir. À expérimenter avec plaisir jusqu’au 19 mai.
Bébés d’Emmanuel Jimenez et Alexis Martin Mise en scène: Daniel Brière Avec Philippe Ducros, Klervi Thienpont et bébé Élora, Nadine Louis et bébé Lorian, Ève Landry et bébé Louis, Tienhan Kini et bébé Tinwah, avec la participation de Jacques L’Heureux et la voix d’Anne Dorval Du 24 avril au 19 mai 2019 (1h10 sans entracte) Espace Libre, 1945, rue Fullum, Montréal Réservations : 514-521-4191 – espacelibre.qc.ca
Photos: Marlène Gélineau Payette
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