par Yanik Comeau (ZoneCulture / Comunik Média)
Dans son mot de la direction artistique, Lorraine Pintal rappelle que Racine n’a pas foulé les planches du «théâtre de tous les classiques» depuis 25 ans. En effet, le vers racinien n’a pas été vu ou entendu dans l’ancienne Comédie Canadienne depuis Andromaque en 1994. Toujours dans son texte de la page 3, la directrice se met dans la peau du spectateur qui pourrait s’étonner que le plus classique des auteurs classiques n’ait pas été programmé depuis si longtemps. Mais n’est-ce pas surtout parce que, malgré la beauté de ses alexandrins d’une poésie virtuose, ce sublime contemporain de Molière peut faire peur et que l’on souhaite offrir à son public du théâtre pas trop hermétique, un répertoire qui ne fera pas fuir la plèbe ? Peut-être fallait-il attendre Florent Siaud pour offrir au public montréalais un Britannicus clair, désenflé, moins emphatique ou pompeux que ce qu’on a l’habitude de craindre. Le Britannicus de Florent Siaud est un hommage à la poésie du maître, certes, mais surtout une ode accessible et généreuse au tortueux rectangle amoureux dans lequel sont plongés Néron, Junie, Britannicus et Agrippine (parce que, oui, on ne peut pas faire abstraction de la mère des garçons dans cette géométrie).
En terrain connu avec des concepteurs avec qui il a travaillé sur Les Enivrés au Prospero l’an dernier, Siaud commande à Romain Fabre un décor épuré, à Nicolas Descoteaux des éclairages riches et nuancés, et à Julien Éclancher une conception sonore envoûtante, mystérieuse voire sinistre, omniprésente.
Le metteur en scène montre à quel point il maîtrise ce texte qu’il aime d’amour. Son intégration de la vidéo, des projections conçues par David B. Ricard (encore un collaborateur des Enivrés), est inspirée. Les quelques phrases éclaboussées sur le mur de fond, les quelques extraits préenregistrés qui – projetés au lieu d’être prononcés sur scène par les comédiens – illustrent magnifiquement ce que Racine entendait, c’est-à-dire la réflexion profonde des protagonistes. Ces éléments techniques ponctuent joyeusement une pièce qui – doit-on le rappeler ? – n’a rien de léger.
Dirigés habilement, les comédiens brillent.
Sylvie Drapeau compose une Agrippine troublante à souhait, vêtue avec l’élégance de Norma Desmond dans Sunset Boulevard (les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz sont de la haute couture) et se déplaçant avec le panache d’une danseuse classique retraitée. Sa voix plus graveleuse qu’à l’habitude, sa sensualité malgré la froideur, tout converge pour réinventer cette «reine» manipulatrice et «carriériste».
Dans les rôles de ses fils, Néron et Britannicus, les demi-frères rivaux, Francis Ducharme et Éric Robidoux, comédiens/danseurs sublimes (Ducharme était le Serge de Bonjour, là, Bonjour au Théâtre Denise-Pelletier cet automne et jamais je n’oublierai Robidoux dans Sous la nuit solitaire d’Estelle Clareton et Olivier Kemeid au Quat’Sous la saison dernière), sont impeccables. On se délecte tout particulièrement de leur affrontement/tiraillement ludique vers la fin de la pièce pendant lequel on voit clairement leur talent pour le mouvement.
Siaud travaille à nouveau avec Maxim Gaudette (le Curley de Des Souris et des hommes chez Duceppe à l’automne), Marie-France Lambert et Evelyne Rompré qui étaient tous de la formidable distribution de Les Enivrés. Le choix de Rompré pour Junie peut étonner, mais elle tire admirablement son épingle du jeu. Fascinant de la voir jouer en alexandrins après l’avoir vue en amie maladroite et pas trop brillante dans le Mauvais goût de Stéphane Crête à Espace Libre il y a à peine quelques mois. Pour sa part, Marc Béland propose un Narcisse aux personnalités multiples, parfois intimidé par l’empereur, parfois frondeur et sûr de lui, parfois vulnérable, mais infusé d’un amour charnel interdit qu’il tente de taire désespérément. Siaud souhaitait érotiser Racine et – contre toute atteinte – c’est là qu’il y parvient le plus.
Bref, le Britannicus de Florent Siaud passe la rampe, rejoint son public, le même public qui se délectera tout autant de Molière, de Marivaux, de Sophocle, de Ducharme (Réjean cette fois) et de Bouchard. Les textes fondateurs doivent être repris avec respect, amour et une touche de modernisme qui les rendra accessibles au plus grand nombre (ou, à la limite, à un plus grand nombre).
Britannicus de Jean Racine (1639-1699) Mise en scène et dramaturgie: Florent Siaud Avec Marc Béland, Sylvie Drapeau, Francis Ducharme, Maxim Gaudette, Marie-France Lambert, Éric Robidoux et Evelyne Rompré. Une production du Théâtre du Nouveau Monde en collaboration avec Les Songes turbulents, compagnie de création 26 mars au 20 avril 2019 (Durée: 1h55 sans entracte)
Radio-théâtre sur Ici Première Radio-Canada le 25 mars 2021 à 20h Théâtre du Nouveau Monde, 84, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal Billetterie: 514-866-8668, poste 1 - https://ticket.tnm.qc.ca
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