par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Mordu de l’œuvre de Tremblay comme tant d’autres, le directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier, fondateur et ancien directeur du Théâtre PàP, Claude Poissant, n’avait pourtant jamais monté (exception faite d’une adaptation du roman C’t’à ton tour, Laura Cadieux à titre amateur quand il était en fin d’adolescence) une pièce de notre dramaturge le plus prolifique. À lire son mot du metteur en scène dans le programme, peut-être par pudeur ou par intimidation devant le travail de Brassard ou, plus tard, son collègue fondateur du PàP René Richard Cyr. Peu importe les raisons, le voici maintenant rendu à se faire plaisir en montant Bonjour, là, bonjour, justement une pièce que René Richard Cyr avait reprise pour le TNM il y a 31 ans presque jour pour jour en 1987, la même année que Brassard créait Le Vrai Monde ? reprise cette année au Trident. Il y a de ces hasards parfois…
Pour sa reprise de Bonjour, là, bonjour, Poissant fait un casting audacieux, fascinant, gagnant sur toute la ligne. D’abord, Gilles Renaud qui, à peine âgé de 30 ans, avait créé le rôle d’Armand, le père de 70 ans, en 1974 et reprend ce rôle à 74 ans, quarante-quatre ans plus tard. Après son triomphe dans Les Chaises d’Ionesco au TNM, rôle qui lui a valu le Gascon-Roux de la dernière saison, Renaud est résolument au sommet de sa forme.
Autour de lui, Annette Garant (Charlotte) et Diane Lavallée (Gilberte), incarnant ses sœurs, à la fois dépareillées et trop pareilles, soudées comme des siamoises qui se détestent, assoiffées d’émancipation l’une de l’autre, mais incapables de se séparer. Diane Lavallée est une de nos grandes comédiennes comiques, mais on oublie qu’elle est bien plus que Thérèse dans La Petite Vie. Alors qu’on n’aurait pas pensé à elle comme premier réflexe, Poissant nous montre à quel point elle s’avère un choix judicieux. Et ne me partez pas sur Annette Garant ! Une de nos plus grandes actrices, enfin utilisée à sa juste valeur, la saison dernière dans Savoir compter de Marianne Dansereau à la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’aujourd’hui et ici, époustouflante dans du Tremblay.
Au centre de cette famille, un seul garçon, le bébé de la famille, Serge, qui revient d’un voyage de trois mois en Europe. Francis Ducharme est sobre, juste, tiraillé, sexy à souhait au milieu de ses sœurs prédatrices, Lucienne (celle qui a marié un Anglais pour ne pas vivre dans la misère, incarnée par l’impeccable Sandrine Bisson que j’avais découverte dans Avec Norm de Serge Boucher au Théâtre d’aujourd’hui il a 14 ans, que les fans de cinéma connaîtront comme la mère de Ricardo dans la trilogie de Trogi 1981, 1987 et 1991 et que l’on reverra plus tard cette saison dans Le Terrier chez Duceppe), Monique (celle qui carbure aux antidépresseurs, jouée par Mireille Bullemans qu’il fait bon retrouver sur scène, elle qui m’avait tellement impressionné dans le rôle de la mère dans La Transfiguration de Benno Blimpie alors qu’elle était finissante à l’Option-Théâtre du Cégep Lionel-Groulx il y a plus de trente ans) et Denise (celle qui mange ses émotions et qui «[s’]en vien[t] assez cochonne, en vieillissant, ça se peut quasiment pas !», incarnée avec brio par Geneviève Schmidt). La plus jeune sœur, celle qui a cinq ans de plus que Serge, celle qui n’est pas juste sa sœur mais son amoureuse, Nicole, est jouée par Mylène MacKay, magnifique.
Claude Poissant aura attendu longtemps avant de se gâter avec Bonjour, là, bonjour, la sienne. Avec cette mise en scène sublime, Poissant montre à quel point il est un grand directeur d’acteurs et combien sa vision de l’œuvre est claire, limpide, tout en évitant l’écueil de la caricature, si facile avec des personnages aussi colorés (les tantes et les sœurs, surtout!). C’est à souhaiter – et à l’entendre s’adressant au public le soir de la première, on peut définitivement y croire – que ce ne sera pas sa dernière, qu’il aura envie de revisiter d’autres pièces qui gagneraient à être remontées et offertes à une nouvelle génération.
Dans un décor épuré conçu par Olivier Landreville et des costumes de Marc Senécal, il nous replonge dans les années 1970 sans tomber dans le didactisme ou le poussiéreux. De toute façon, le texte de Tremblay n’a pas pris une ride. Un seul bémol au niveau de la mise en scène? On aurait pu éviter de faire dire les titres des tableaux (Duo, trio, quatuor,…) à Serge. À mon avis, ça nous sort – très peu, mais quand même trop – de l’action. Des projections auraient pu se charger de cette identification… ou on aurait pu les laisser tomber complètement. Mais bon… c’est bien peu de reproches.
Bonjour, là, bonjour s’inscrit comme une des belles reprises d’une œuvre majeure, incontournable. Faites-vous plaisir… et emmenez vos ados au théâtre. Cette fois, la mienne ne m’a pas accompagné parce qu’elle y ira avec l’école. C’est ça aussi, la Nouvelle Compagnie Théâtrale, le Théâtre Denise-Pelletier et la salle Fred-Barry, fondés par Gilles Pelletier, Françoise Graton et Georges Groulx. Du théâtre pour tous… avec une pensée spéciale pour la formation de la relève spectatrice. *** Bonjour là, bonjour de Michel Tremblay Mise en scène: Claude Poissant Avec Sandrine Bisson, Mireille Brullemans, Francis Ducharme, Annette Garant, Diane Lavallée, Mylène MacKay, Gilles Renaud et Geneviève Schmidt Scénographie : Olivier Landreville Costumes: Marc Senécal Lumières: Alexandre Pilon-Guay Musique originale et conception sonore: Laurier Rajotte Une production du Théâtre Denise-Pelletier Du 7 novembre au 5 décembre 2018 (1h35 sans entracte) Théâtre Denise-Pelletier, 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal Réservations : 514-253-8974 Photos : Gunther Gamper
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