par Yanik Comeau (Comunik Média)
Au MAI – Montréal, Arts Interculturels ces jours-ci, le Théâtre Everest présente un spectacle de théâtre beaucoup plus joyeux et lumineux que pourrait le laisser entendre son titre : «Bâtardes». Un mot si dur et associé au rejet pur. On comprend rapidement qu’il s’agit d’un terme qui aura été utilisé pour les qualifier, elles et leur sœur Fanny, nées d’une mère québécoise et d’un père tibétain. Parce qu’elles sont mixtes, métissées, mélangées, … magnifiques !
D’entrée de jeu, Chloé et Jade se présentent, directement au public. Elles mettent la table en parlant de leurs prénoms québécois, leurs prénoms tibétains, et rapidement, dans un premier tableau, dérident sérieusement avec un dialogue choral musclé hilarant où, comme deux meneuses de claques colorées, elles lancent au visage des spectateurs toutes les phrases ridicules, maladroites, pour ne pas dire carrément absurdes qu’elles ont entendues, de leur plus tendre enfance à Bromont jusqu’à aujourd’hui. Délicieux.
Leur fascinante quête identitaire, alimentée par la présence de leur grand-mère paternelle avare de partage, les entraînera éventuellement, avec leur père et cette aïeule plus grande que nature, vers Dharamsala, en Inde, où tant de Tibétains se sont réfugiés lorsqu’ils ont été chassés de leur pays natal par les Chinois. Les sœurs Barshee nous offriront un ingénieux et amusant cours d’histoire qui jamais ne tombera dans un didactisme trop lourd. Sans minimiser l’horreur qu’a subi leurs ancêtres, elles nous mettent en contexte avec intelligence et doigté, nous sensibilisent et nous touchent sans nous assommer. Habile.
À travers des tableaux qui nous font découvrir la cuisine tibétaine (je vous mets au défi de ne pas vouloir goûter toutes les variétés de momos en sortant de la salle !), qui nous rappellent notre propre histoire récente avec l’expérience de Jade au milieu des carrés rouges du printemps 2012, qui nous entraînent à l’ombre de la chaîne himalayenne et qui nous hissent métaphoriquement au sommet de l’Everest, ce spectacle m’a mis le sourire aux lèvres du début à la fin, me divertissant, me touchant, me séduisant tout à la fois.
Pour faire les liens entre les tableaux, le très agile et vivant Mathieu Beauséjour dans un costume de franges colorées qui rappelle le Yéti. Une présence qui aurait pu sembler collée là pour rien, plaquée là sans raison, mais qui, au contraire, s’intègre à merveille. Les home movies des filles et de leur mère, tournés par le papa fier, viennent aussi donner une couleur intéressante, une tendre nostalgie à ce spectacle incroyablement bien roulé. Et bien qu’il y ait un tableau qui vienne (presque) gâter la sauce – cette étrange parodie de téléthon qui fait froncer les sourcils, où les filles annoncent qu’elles partent une fondation pour amasser des fonds pour… ma foi je ne me souviens même pas quoi et c’est sans doute parce que mon cerveau veut que je ne retienne que le positif de cette belle expérience – il reste que Bâtardes est une expérience globalement rafraîchissante, agréable, instructive et élévatrice.
Souhaitons que les sœurs Barshee aient la chance d’offrir d’autres représentations de leur spectacle. Aucun doute que Bâtardes est tout à fait à sa place au MAI, mais il devrait aussi faire le tour des maisons de la culture, être offert à des groupes scolaires (pourquoi pas à Fred-Barry l’an prochain, Claude Poissant ?) et en tournée dans «les régions».
Bâtardes de Jade Barshee Mise en scène et interprétation: Chloé Barshee et Jade Barshee (avec la participation de Mathieu Beauséjour) Une production du Théâtre Everest Jusqu’au 24 mars 2018 (approx. 1h10 sans entracte) MAI, 3680, rue Jeanne-Mance, Montréal Réservations : 514-928-1812
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