par Yanik Comeau (Comunik Média) Je commence par une confession: J’aime Caryl Churchill d’amour. Cette auteure britannique me fascine, me ravit, me fait sourire, me fait jubiler depuis que j’ai été happé par Cul-de-sac au 7e ciel (Cloud 9) au Théâtre du Nouveau Monde en 1984. J’avais 15 ans. Le public du TNM, à l’époque, n’avait pas apprécié. Il avait même été horrifié, scandalisé, révolté ou au minimum confus. Mercredi soir, devant La Licorne, j’en ai parlé avec Sophie Clément, qui était de la distribution de Cul-de-sac au 7e ciel à l'époque, pendant que nous attendions d’assister à la première d'Amour et information que présente ces jours-ci le Théâtre de la Banquette arrière, un projet proposé par le metteur en scène Frédéric Blanchette aux codirecteurs artistiques Rose-Maïté Erkoreka et Éric Paulhus.
Caryl Churchill est une auteure brillante à l’écriture croustillante et pétillante, une dramaturge innovante qui fait sourire et réfléchir, rire et s’exclamer. Avec humour et finesse, ses pièces braquent un miroir dans la face de l’être humain et semblent lui dire: «Regarde ce que tu es! Je ne te juge pas! Je t’aime! Mais avoue…» Le public du TNM n’était pas prêt à entendre ça en 1984. Sophie Clément a éclaté de rire quand j’ai ouvert notre conversation de trottoir avec: «Suis-je le seul à avoir aimé Cul-de-sac au 7e ciel ?» Elle se rappelait du plaisir qu’elle avait eu à répéter cette pièce complètement déjantée et délicieuse, en deux actes – le premier se situant à l’époque victorienne, le second de nos jours mais avec la même famille qui n’a vieilli que de 25 ans – avec les collègues Markita Boies, Raymond Bouchard, Pierre Chagnon, Normand Chouinard, feu Luc Durand et Christiane Raymond, la troupe permanente du TNM dirigée par Olivier Reichenbach. Je me souviens d’avoir voulu rire à gorge déployée mais de m’être retenu pour ne pas offusquer le public moins appréciatif. Nostalgie.
Depuis ce temps, j’ai vu Blue Heart et Top Girls et lu combien d’autres des œuvres de cette auteure toujours active, toujours pertinente, qui aura 80 ans cette année! Avec Love and Information, écrite en 2012, elle amène le public dans les méandres du cerveau humain, de la mémoire, de la psyché, avec une habileté déconcertante. Dans une série de courtes scènes de durées variables – 30 secondes à cinq minutes maximum ? –, des sketchs qui ne semblent pas liés les uns aux autres mais qui, au final, se brodent finement les uns aux autres comme une impressionnante courtepointe.
Nus pieds sur une moquette charcoal dans un décor blanc qui devient tout autant un condo, qu’une chambre d’hôpital, qu’une salle de consultation, qu’une salle d’attente, qu’un écran, que Dieu sait quoi encore, les neuf comédiens – tous en pleine possession de cette partition délicate et savoureuse – se croisent, se mélangent, se tissent ensemble comme dans un ballet exquis (si l’on faisait dans la métaphore du monde de la danse), comme un comfort food rassasiant et savoureux (si l’on faisait dans la métaphore culinaire), comme un macramé solide mais fin (si l’on faisait dans la métaphore artisanale). Dirigés de main de maître par Frédéric Blanchette qui signe également la traduction, ils offrent au public ce feu roulant de flashs théâtraux sans temps mort, se déplaçant brillamment sur scène, leurs corps servant parfois temporairement de paravents, de rideaux, de toiles qui s’ouvrent pour introduire la scène suivante. Génial.
A l’aide d’un bon vieux rétroprojecteur, les comédiens participent aussi à éclabousser le mur de fond d’images de scans, de gouttes d’eau ou de colorants déposées à la pipette, comme des cerveaux sous observation. Parce que la vie, ce sont les connections électriques qui se font là-haut, les tumeurs qui viennent saper la mémoire, étouffer les connaissances, intimider les notions, déformer les réalités et les perceptions. La vie, ce sont les neurones qui se joignent, se touchent, se débranchent. La vie, c’est le théâtre de Caryl Churchill qui observe l’Humain du haut de sa brillance sans jamais le regarder de haut pour autant.
Amour et information est présentée jusqu’au 22 mai à La Licorne. Et vivement que l’on nous offre régulièrement des pièces de cette brillante féministe/humaniste à Montréal. Un joyau de la dramaturgie mondiale que l’on gagne à connaître.
Amour et information de Caryl Churchill Traduction et mise en scène: Frédéric Blanchette Avec Amélie Bonenfant, Renaud Lacelle-Bourdon, Sébastien Dodge, Rose-Maïté Erkoreka, Mathieu Gosselin, Anne-Marie Levasseur, Lise Martin, Éric Paulhus et Simon Rousseau Une production du Théâtre de la Banquette arrière en codiffusion avec La Manufacture 1er au 22 mai 2018 – mardi au jeudi 19h, vendredi 20h, samedi 16h (1h30 sans entracte) *** Supplémentaires : samedi le 12 mai à 20h et mardi 22 mai à 19h Théâtre La Licorne, 4559, avenue Papineau, Montréal Billetterie: 514-523-2246 – theatrelalicorne.com Photos : Bruno Guérin
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