par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
En septembre 2020, le soir de la répétition générale d’Adieu, monsieur Haffmann, projet coup de cœur de la directrice du Rideau Vert Denise Filiatrault, l’équipe apprenait que la pandémie fauchait ses espoirs de recevoir le public dès le lendemain. La production pourrait-elle un jour trouver son public ? Un an plus tard, cette jolie pièce du Français Jean-Philippe Daguerre, récipiendaire de quatre Molière, arrive à point, amputée d’un seul acteur (Laurent Lucas remplacé par le formidable Roger La Rue). L’attente et les attentes auront été grandes mais on ne peut que se réjouir d'enfin savourer cette pièce.
Inspiré par de nombreuses histoires puisées dans la grande Histoire menant à la Deuxième Guerre Mondiale, Jean-Philippe Daguerre situe sa pièce dans la Ville Lumière de 1940 durant l’occupation allemande. Joseph Haffmann (Ariel Ifergan), bijoutier juif, confie sa boutique à son dauphin, le très Français et très Catholique Pierre Vigneau (Renaud Paradis) et à sa femme Marie (Julie Daoust) afin qu’elle ne perde pas toute sa clientèle et, surtout, qu’elle ne passe pas aux mains des Nazis. En échange, Pierre demandera à son patron, qui élira domicile au sous-sol de la maison/boutique,… un p’tit service. Au fil des semaines et des mois, la bijouterie rebaptisée Vigneau fleurira grâce au talent et goût du jeune joaillier qui connaît son public et s’avère un excellent vendeur. Mais qui donc est ce public justement ? Peut-on vraiment dire que l’argent n’a pas d’odeur ?
Reconnue pour ses productions rythmées – pour ne pas dire parfois endiablées –, Denise Filiatrault se paie une pièce plus lente ici, plus dans la tendresse, dans l’émotion et dans l’intime. On s’en réjouit parce que sa redoutable direction d’acteurs ne fait aucunement défaut. Le quintette qu’elle a rassemblé autour du texte de Daguerre est remarquable. On se délecte des nuances d’Ariel Ifergan, de la chimie entre Renaud Paradis et Julie Daoust, vieux complices depuis L’Auberge du Chien Noir, du subtil accent de Roger La Rue incarnant l’Ambassadeur Otto Abetz et de l’exubérance assumée et affirmée de la toujours sublime Linda Sorgini dans le rôle de la femme de ce dernier, la Française Suzanne Abetz.
Bien que j’aie été royalement agacé par les noirs constants entre les scènes dans la première moitié du spectacle (les scènes courtes auraient pu être enchaînées sans constamment plonger la scène dans la noirceur avec quelques notes de musique ; j’ai été étonné que madame Filiatrault ne trouve pas mieux pour créer des transitions plus fluides), la production toute entière s’avère d’une belle cohérence.
La scénographie hyperréaliste de Jean Bard, les costumes de Pierre-Guy Lapointe, la musique de Guillaume St-Laurent, les éclairages d’Alexandre Pilon-Guay, tout converge pour servir à merveille ce texte aux personnages attachants, à la fois drôle, touchant,.. avec de petites touches qui glacent le sang par moments.
Les mesures sanitaires sont bien minces à endurer lorsqu’on les compare à ce qu’ont dû vivre les personnages sur scène en période de rationnement, mais pas de doute que le confinement de monsieur Haffmann dans son sous-sol, les effluves de racisme et d'antisémitisme font tristement écho à notre époque, quatre-vingts ans plus tard.
Adieu, monsieur Haffmann de Jean-Philippe Daguerre Mise en scène: Denise Filiatrault Avec Ariel Ifergan, Julie Daoust, Roger La Rue, Renaud Paradis et Linda Sorgini Une production du Théâtre du Rideau Vert Du 7 septembre au 16 octobre 2021 (1h25 sans entracte) Théâtre du Rideau Vert, 4664, rue Saint-Denis, Montréal Réservations: 514-844-1793 Photos : David Ospina
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