par Yanik Comeau (Comunik Média / Zone Culture)
Les pièces de théâtre biographiques ou les spectacles hommage s’avèrent souvent un terrain glissant. On peut facilement déraper dans le trop didactique, le trop «chronologique» à tout prix, le trop «vénération à outrance». En moins d’un an, une la saison dernière et une ces jours-ci, la salle Fred-Barry a honoré deux grandes artistes québécoises de manière originale, pertinente, percutante et divertissante. Après La Femme la plus dangereuse du Québec qui revisitait la vie et l’œuvre de la poétesse Josée Yvon, voilà que la comédienne Catherine Allard – avec le Collectif de la Renarde – mène à bien son spectacle sur Pauline Julien (et Gérald Godin par ricochet!), «un projet formellement éclaté, qui allie théâtre, poésie, récital et performance», comme le définit parfaitement son metteur en scène Benoît Vermeulen.
Entrainant dans son merveilleux délire la formidable Marie-Christine Lê-Huu dont l’adaptation de l’excellente pièce Jouliks sera bientôt sur nos écrans de cinéma, Catherine Allard (comédienne connue pour son rôle dans le téléroman Destinées et qui était de la création de Petite sorcière la saison dernière, pièce pour la jeunesse bientôt reprise à la Maison-Théâtre) incarne sur scène une Catherine Allard engagée qui se fond dans le cœur, l’âme, la peau de Pauline Julien, féministe, chanteuse, souverainiste passionnée.
Pigeant dans l’œuvre poétique de Gérald Godin (celui qui aura été son complice de la fin des années 60 – rappelons qu’ils ont été arrêtés ensemble pendant la crise d’octobre – jusqu’à son décès en 1994, juste avant le deuxième référendum sur la souveraineté), dans les chansons que Pauline Julien a rendues célèbres (des textes de Gilles Vigneault, Réjean Ducharme, Gilbert Langevin, sans parler des siens… sur des musiques de Kurt Weill, Léveillée, Charlebois, Dompierre, Cousineau…), dans la fougueuse correspondance des amoureux, dans des documents d’archives de la BAnQ, de l’ONF, etc., sans jamais tomber dans le didactisme ou le cours d’histoire, Lê-Huu tisse une histoire d’amour sur fond d’engagement social, parsemée de mises en abyme constantes mais jamais dérangeantes (au contraire, elles dynamisent le tout si habilement!). Un délice absolu!
Catherine Allard fait preuve d’une impressionnante maîtrise du personnage sans jamais tomber dans l’imitation caricaturale. Bien dirigée par un Benoît Vermeulen qui fait évoluer ses interprètes dans un décor minimaliste offrant quelques éléments de décor et des accessoires saupoudrés çà et là (comme il en a l’habitude dans ses mises en scène des productions du Théâtre Le Clou!), la comédienne passe subtilement à une voix plus grave lorsqu’elle «parle en Pauline Julien» et chante avec un aplomb, une assurance, une justesse et une déchirante sensibilité qui ne peuvent qu’impressionner. On soulignera ici que le coaching vocal a été assuré par Marie-Claire Séguin (quelle brillante idée !).
Bien que le jeu de Gabriel Robichaud soit un peu boiteux et maladroit dans les passages où il récite la poésie de Godin ou dans les moments «hommage romantique» à sa Pauline, peut-être un peu trop «écrits» pour les faire passer facilement et naturellement, le jeune comédien acadien, qui se joue lui-même et Godin bien sûr, réussit à tirer son épingle du jeu, et sa complicité avec Catherine Allard, même dans les moments où ils feignent le désaccord devant l’engagement politique (tellement amusants et bien écrits!), ne fait pas de doute. La musique en direct, assurée par Gaël Lane-Lépine au clavier et aux percussions et Cédric Dind-Lavoie à la contrebasse (ou Gabriel Lapointe en alternance), est un atout précieux. Pour accompagner les chansons, bien sûr, mais particulièrement pour ponctuer les moments forts. Très habile.
Ce genre de spectacle – qui touchera tout autant les fans de Pauline Julien et les défenseurs de Gérard Godin et de sa mission politique (comme en témoignent les nombreuses têtes blanches qui se sont déplacées pour se rappeler de bons souvenirs) que les plus jeunes – devrait toujours être une sorte de bougie d’allumage qui donnera le goût, en sortant de la salle, de découvrir ou de redécouvrir l’œuvre des protagonistes. Je cherche une maison qui vous ressemble – À la mémoire de Pauline Julien et Gérald Godin ne fait certainement pas exception.
Seul bémol (qui n’a rien à voir avec la qualité du spectacle – bien au contraire) ou plutôt «seule question»? Comment se fait-il qu’il n’y ait pas de représentations scolaires alors que nous sommes à Fred-Barry? Il me semble qu’il faudrait faire découvrir cette époque et ces «personnages» importants aux plus jeunes? Trop touchy, la politique? L’engagement social? Hum… expliquez-moi.
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Je cherche une maison qui vous ressemble de Marie-Christine Lê-Huu Mise en scène: Benoît Vermeulen Avec Catherine Allard et Gabriel Robichaud Musique en direct: Gaël Lane-Lépine et Gabriel Lapointe ou Cédric Dind-Lavoie Une coproduction de Collectif de la Renarde et Théâtre Les Gens d’en bas Du 11 au 29 septembre 2018 (1h25 sans entracte) Salle Fred-Barry (Théâtre Denise-Pelletier), 4353, rue Sainte-Catherine Est, Montréal
Réservations : 514-253-8974 Photos : Marie-Andrée Lemire
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Du 8 au 19 octobre 2019 Théâtre Périscope, 2 rue Crémazie Est, Québec Billetterie: 418-529-2183
*** En tournée: 3 octobre 2018: Rouyn-Noranda 4 octobre 2018: Mont-Laurier 7 octobre 2018: Terrebonne 12 octobre 2018: Châteauguay 17 octobre 2018: Jonquière 19 octobre 2018: Sainte-Geneviève 25, 26 et 27 octobre 2018: Le Bic 30 novembre 2018: St-Jérôme 7 et 8 décembre 2018: Longueuil 14 mars 2019: Lévis 19 mars 2019: Caraquet 21 mars 2019: Bathurst 22 mars 2019: Shippagan 23 mars 2019: Shediac 26 mars 2019: Fredericton 28 mars 2019: Edmunston 29 mars 2019: Dalhousie 30 mars 2019: Neguac 12 avril 2019: Sorel
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